REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS
18ème Chambre E

ARRÊT DU 18 Novembre 2005

Numéro d’inscription au répertoire général : S 04/30711

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 23 Octobre 2003 par le conseil de prud’hommes de Paris

section Encadrement RG n° 01 :15914

APPELANTE

ENTRAIDE UNIVERSITAIRE
31 rue d’Alésia
75014 PARIS
représentée par Me Francis PUDLOWSKI, avocat au barreau de PARIS, toque : D 162
INTIMES

Monsieur Jean FONT
L’ermitage
21, Chemin de la Bigüe
60300 SENLIS
comparant en personne, assisté de Me Sylvain ROUMIER, avocat au barreau de PONTOISE

SYNDICAT CFDT SANITAIRE ET SOCIAL PARISIEN
7 – 9, rue Euryale Dehaynin
75019 PARIS
représentée par M. Cédric PORIN (Délégué syndical ouvrier)

COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 20 octobre 2005, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Jean-Louis VERPEAUX, Président
Mme Marie-José THEVENOT, Conseillère
Mme Catherine BEZION, Conseillère
qui en ont délibéré

Greffier : Mme Nicole GUSTAVE, lors des débats

ARRÊT :

- Contradictoire
- Prononcé publiquement par Monsieur Jean-Louis VERPEAUX, Président
- Signé par Monsieur Jean-Louis VERPEAUX, Président et par Mme Nicole GUSTAVE, greffier présent lors du prononcé.

 

ANALYSE

par Maître Sylvain ROUMIER
Avocat de M. Jean FONT

L'arrêt de la 18ème chambre E de la Cour d'Appel de PARIS du 18 novembre 2005, rendu dans l'affaire opposant Monsieur FONT à l'Association ENTRAIDE UNIVERSITAIRE tranche pour la première fois (sous réserve du pourvoi engagé par l'ENTRAIDE UNIVERSITAIRE) la question des conditions d'application de l'article L 313-24 du Code de l'Action sociale et des Familles :

" Dans les établissements et services mentionnés à l'article L 312-1, le fait qu'un salarié ou un agent a témoigné de mauvais traitements ou privations infligés à une personne accueillie ou relaté de tels agissements ne peut être pris en considération pour décider de mesures défavorables le concernant en matière d'embauche, de rémunération, de formation, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement du contrat de travail, ou pour décider la résiliation du contrat de travail ou une sanction disciplinaire.

En cas de licenciement, le juge peut prononcer la réintégration du salarié concerné si celui-ci le demande. "

Par ailleurs, et incidemment, cet arrêt élève au rang de liberté fondamentale entraînant la nullité du licenciement, le fait de signaler des crimes ou délits dont les salariés ont connaissance, s'agissant de maltraitances sur des personnes accueillies dans des établissements à caractère social.

SUR LES CONDITIONS D'APPLICATION DE L'ARTICLE L 313-24
DU CODE DE L'ACTION SOCIALE ET DES FAMILLES

I.1.

En tout premier lieu, la Cour rappelle la décision du Conseil des Prud'Hommes statuant en première instance en départage qui indiquait que :

"Un agent qui a témoigné de mauvais traitements ou privations infligés à une personne accueillie, bénéficie d'une protection qui interdit que cette dénonciation soit prise en considération pour décider d'une sanction disciplinaire à son encontre".

Le Juge de première instance en avait déduit, compte tenu du libellé de l'article L 313-24 du Code de l'Action sociale et des Familles, que par le seul fait que le Juge ait la possibilité de prononcer la réintégration du salarié licencié, alors qu'il avait signalé de mauvais traitements ou des privations, le licenciement était nécessairement nul.

La Cour d'Appel répond, tout d'abord, à la question de savoir quelle doit être l'attitude du Juge lorsque le signalement de maltraitance ne reposerait, au final et après enquête, sur aucun élément sérieux.

Elle confirme ainsi le Jugement de première instance considérant que l'article L 313-24 du Code de l'Action sociale et des Familles assure une protection pleine et entière à l'agent qui est sanctionné pour avoir témoigné ou relaté des actes de maltraitance, et ce, sans qu'il ait à rapporter la preuve de la réalité des faits dénoncés.

La charge de la preuve de la maltraitance ne repose donc pas sur le salarié et n'est donc, quoiqu'il en soit, ni exigée, ni exigible.

Le seul acte de signalement assure au salarié la protection et l'entier bénéfice des dispositions de l'article L 313-24 du Code de l'Action sociale et des Familles.

Il s'agit là d'une décision qui donne tout effet utile au texte en vue de permettre au salarié d'assurer son devoir civique de témoignage dès lors qu'il aurait le moindre doute sur les faits constatés.

Il semble que la Cour aille ici plus loin encore que dans les cas d'utilisation par le salarié de son droit de retrait puisque la jurisprudence exige dans ce type de situation l'existence d'un " doute légitime " sur la mise en cause de la santé et de la sécurité du salarié ou d'autrui.

En l'espèce, il n'est pas demandé que le salarié fasse la preuve ou même allègue qu'il pouvait légitimement penser qu'il existait une maltraitance envers une ou plusieurs personnes accueillies dans l'établissement.

Seul l'abus de droit, c'est-à-dire lorsque le salarié fait sciemment de fausses déclarations dans le but de détourner la protection à des fins étrangères, pourrait, semble-t-il, être invoqué.

I-2. L'invocation par l'employeur du témoignage de maltraitance corrompt l'entier licenciement.

La Cour indique dès lors qu'il existe une " référence expresse " (et alors même qu'elle n'est pas centrale en l'espèce) à un signalement ou un témoignage de maltraitance parmi les griefs figurant à la lettre de licenciement, la mesure doit être considérée avoir été " prise en considération " au sens de l'article L 313-24 du Code de l'Action sociale et des Familles.

Dès lors, elle en déduit que le caractère réel et sérieux des autres griefs figurant à la lettre de licenciement n'a pas à être examiné.

La seule référence à l'acte de signalement assure automatiquement une protection au salarié, et, en conséquence, la possibilité de solliciter l'annulation de la mesure disciplinaire et, le cas échéant, la réintégration.

II - NULLITE DU LICENCIEMENT ET VIOLATION D'UNE LIBERTE FONDAMENTALE

L'ENTRAIDE UNIVERSITAIRE avait critiqué l'application de la loi faite par le premier Juge en ce sens que celui-ci n'aurait pu considérer le licenciement comme nul du fait de l'absence de précision dans le texte que la sanction de la violation des dispositions de l'article L 313-24 devait être la nullité.

Il s'agissait pour l'ENTRAIDE UNIVERSITAIRE de prétendre à une application stricte du principe "pas de nullité sans texte".

La Cour répond que dès lors que le texte prévoit l'interdiction absolue d'une quelconque sanction disciplinaire du fait de signalement de maltraitances, et la réintégration du salarié licencié en violation de ladite interdiction, "entend nécessairement que ce licenciement est nul ".

Il en découle une interprétation plus protectrice de l'adage qui pourrait se décliner comme suit : "Pas de nullité sans texte ; mais réintégration vaut nullité".

SUR LE CARACTERE AUTOMATIQUE DE LA REINTEGRATION

S'agissant de l'interprétation du paragraphe "en cas de licenciement, le juge peut prononcer la réintégration du salarié concerné si celui-ci le demande", la Cour est claire : la faculté d'appréciation laissée au Juge est inexistante : Il doit prononcer la réintégration dès lors que le salarié la demande.

Ici encore, il s'agit d'une interprétation destinée à donner tout effet utile au texte et à assurer une parfaite protection au salarié.

Enfin, la Cour, afin de mieux asseoir la sanction de nullité du licenciement, reconnaît que le devoir "pénalement sanctionné de dénoncer des crimes ou délits dont ils ont connaissance, constitue une liberté fondamentale qui doit profiter d'une protection légale renforcée ".

L'invocation de la notion de liberté fondamentale est bien évidemment positive dans le cadre de la protection du salarié.

Il eut cependant été peut-être plus judicieux de renforcer le raisonnement par le recours à la notion d'ordre public social : le fait de dénoncer des crimes et délits dont les salariés ont connaissance est une obligation impérative fondée sur l'ordre public social.

S'opposer à ce signalement constituerait la violation d'une liberté fondamentale.

CONCLUSION

Par un arrêt clair et concis, la Cour d'Appel de PARIS vient donc affirmer trois éléments essentiels pour les salariés exerçant dans des établissements à vocation sociale :

- La protection du salarié ayant signalé ou témoigné de maltraitances infligées à une personne accueillie est absolue et elle ne supporte aucunement la charge de la preuve de l'existence objective de maltraitance.

- L'invocation de ce grief à l'appui d'un licenciement corrompt l'ensemble des griefs exposés.

- Le licenciement d'un salarié pris en considération d'un signalement de maltraitance est nul, d'une part, du fait que le texte prévoit la réintégration dudit salarié, et, en tout état de cause, parce qu'il constitue une violation d'une liberté fondamentale.

Accueil > Maltraitance > Analyse Arrêt Cour d'Appel
Analyse Arrêt Cour d'Appel
Sénat
Arrêt Cour d'Appel
Arrêt Cour de Cassation
D.G.A.S.
Cour des Comptes
Analyse Arrêt Cour d'Appel
L'Article L 313.24